Conservation, restauration de peintures murales et bois polychromes:

Fresques, mezzo fresco, détrempe, huile, sur supports d'enduit, de pierre, de toile, de bois...
Plafonds à la française, décors de boiseries, sculptures monumentales et mobilier liturgique...
Méthodologie de "restauration timide":
-respectueuse de l'oeuvre, sans résines ni produits écotoxiques
-produits naturels et aucune interprétation
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Bonjour chers visiteurs! J'ai créé ce blog afin de partager avec vous mon métier-passion.
Le Patrimoine, l'architecture, les objets qui nous entourent font partie de notre Histoire, que ce soit l'histoire de notre beau pays, ou une petite histoire qui a marqué une région, un village, l'un de nos ancêtres, et nous touche des années après...
Je me consacre coeur et âme à la sauvegarde de ce Patrimoine.
Conserver, restaurer, c'est soigner, préserver...
Et aimer, respecter.


mardi 18 janvier 2011

Retour sur le tratteggio

Voici un texte de P.Philippot, professeur émérite à l'Université libre de Bruxelles:

"La technique de la retouche en hachures, ou tratteggio, a été mise au point à l’Istituto Centrale per il Restauro de Rome dans l’immédiat après guerre, notamment pour répondre au défi que posait alors la restauration des fresques de l’église des Eremitani de Padoue, détachées par les bombardements et tombées sur le sol en milliers de fragments. La collecte attentive de ceux-ci et leur regroupement selon leur point de chute et leur nature avaient permis de reconstituer les fresques détruites de Mantegna et d’autres artistes comme de grands puzzles criblés de lacunes, et la question se posait dès lors de leur présentation la plus adéquate, la plus justifiée du point de vue critique. Laisser le puzzle incomplet signifiait présenter des œuvres si gravement mutilées que leur lecture en était rendue si difficile au spectateur que la valeur artistique des œuvres s’évanouissait pour faire place à la matérialité physique de leur état fragmentaire à peine déchiffrable. D’autre part, leur remise dans un état complet, toujours possible sur base de la documentation photographique conservée, impliquait une intervention si étendue qu’elle confinait nécessairement à une falsification, les fragments originaux se perdant dans l’ensemble dominé par la reconstitution.
En fait, le problème posé par les fresques détruites des Eremitani portait à l’extrême le dilemme que pose en réalité toute retouche au restaurateur : comment concilier le respect de l’œuvre originale – et accessoirement de son histoire – et le souci légitime de lui rendre une lisibilité qui en permette l’appréciation esthétique ? Le problème était d’autant plus clairement perçu que l’Istituto Centrale per il Restaurato avait été créé peu de temps auparavant sur une suggestion de Giulio Carlo Argan pour arracher la restauration à l’empirisme artisanal qui la dominait alors et la fonder sur une approche scientifique des problèmes techniques, à la lumière d’une approche critique des aspects esthétiques et historiques. Le jeune directeur, Cesare Brandi, s’attachait d’ailleurs à élaborer dans ce sens une théorie de la restauration qui prenait particulièrement en compte la nécessité de concilier les exigences historiques de respect du document et les exigences esthétiques de sa présence formelle. Il était donc clair que la retouche, pour être acceptable sur le plan critique, devait satisfaire à deux exigences apparemment contradictoires : d’une part rétablir la possibilité de lecture sans effort qui puisse distraire le spectateur de la pure réception de l’image ; d’autre part faire en sorte que cette intervention ne puisse en aucune manière tromper le spectateur sur sa nature en se faisant passer pour l’œuvre originale, au lieu de se faire connaître pour ce qu’elle était : une intervention actuelle du restaurateur destinée à rétablir, dans la mesure du possible, l’unité primitive de l’image.

C’est d’un ensemble de tentatives diverses imaginées par les restaurateurs pour résoudre ce dilemme qu’est émergé le tratteggio. Conçu comme une technique de retouche en hachures verticales parallèles, il constituait nécessairement une grille qui s’interposait entre l’exécutant et l’image, et restait reconnaissable quels que soient les efforts du restaurateur pour intégrer la lacune. D’autre part, la hachure verticale est d’exécution aisée, et s’oppose à ce que le ductus personnel du restaurateur s’impose à la retouche, en quoi il est une garantie de distanciation et d’objectivité. Mais en même temps, la hachure peut – et doit – être adaptée à la lecture du contexte original : elle sera plus ou moins mince ou large, voire d’une épaisseur variée. Un ton général de base peut être donné par des hachures neutres plus ou moins écartées l’une de l’autre, et les diverses couleurs pourront être obtenues par juxtaposition de tons purs, en s’inspirant des principes du divisionnisme. Quant à la lumière, elle sera obtenue à partir du fond de préparation, le tratteggio s’effectuant à l’aquarelle, afin d’être toujours réversible.

Ces considérations étant acquises, il est évident que la finalité de la retouche est d’intégrer les lacunes dans leur contexte. C’est donc vers cette intégration – la plus poussée possible – que tendra l’intention du restaurateur, afin d’assurer le meilleur rétablissement de l’unité potentielle, c’est-à-dire de l’unité qui peut être déduite sans hypothèse du contexte conservé, et rétablie en vertu de la continuité du rythme formel, qui peut franchir virtuellement des interruptions limitées en fonction de leur localisation, de leur extension et de la nature stylistique de l’œuvre en cause. Le concept d’unité potentielle fournit donc à la fois la justification de la retouche et dicte les limites de sa légitimité.
Il est donc bien évident que le tratteggio ne peut être considéré comme une formule universelle de retouche. Il ne peut entrer en considération que pour des lacunes caractérisées (à la différence de simples usures de la patine ou de la couche picturale superficielle), qui permettent de " jeter le pont " entre deux rives en raison des implications qu’elles contiennent en termes de ligne, de modelé ou de couleur. Mais il sera exclu, comme toute autre forme de retouche d’ailleurs, dès qu’il faut recourir à l’hypothèse ou que l’étendue est simplement trop vaste et imposerait la retouche au détriment, et non plus en faveur, de l’original, dont il s’agit de renforcer la présence. A ce stade, la lacune sera traitée comme lacune, et non intégrée au niveau formel ou figuratif. La situation a justement été comparée à la restitution d’un texte mutilé et à son édition – Les mots, fragments de mots ou lettres manquants peuvent être restitués chaque fois que cette restitution est impliquée par le contexte – par l’unité potentielle du texte restant – et cette possibilité dépendra de la place et de la nature de la lettre ou du mot ou fragment de mot manquant en fonction des suggestions implicites dans le contexte. Mais il est évident que la restitution se fera de façon qui la rendre identifiable comme interprétation critique de l’éditeur : soit en italiques, soit avec note de renvoi explicative. C’est ce rôle qui revient, mutatis mutandis, au tratteggio.
Tout ceci a été dit, et bien dit. S’il a paru utile d’y revenir, c’est que, presque depuis ses origines, le tratteggio a souvent été mal compris. Surtout hors d’Italie, où manquait le fond de culture critique établi par Brandi, qui en assurait la correcte compréhension théorique, mais parfois aussi en Italie même.

Avec quelque recul, on peut distinguer aujourd’hui deux sources à cette incompréhension, deux parcours de l’erreur, qui supposent toujours que le tratteggio est pensé comme une simple technique, indépendamment de la conception critique qui le fonde.
La première est d’ordre technique. Des retouches en tratteggio mal exécutées ont contribué à obscurcir les raisons et la fonction précise du recours à cette technique, et, la copie étant toujours inférieure au modèle, il s’en est suivi un relâchement de l’exécution qui a exposé le principe du tratteggio à des critiques que ne justifiait en fait que la mauvaise exécution, voire l’incompréhension témoignée par l’exécutant.
La seconde, souvent liée à la première d’ailleurs, est d’ordre théorique. Le mauvais tratteggio s’imposant comme tel au lieu d’assurer l’intégration des lacunes traitées, la grille – le moyen – a été prise pour la fin – l’intégration – manquée, et, le principe se renversant, le tratteggio a alors été considéré comme un moyen de rendre la retouche visible – ce qui est évidemment beaucoup plus facile que d’intégrer la lacune à travers le filtre des hachures, mais ne répond pas au problème critique de l’intégration."


Tout est dit sur le tratteggio, compris et incompris.

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