En fait, le problème posé par les fresques détruites des Eremitani portait à l’extrême le dilemme que pose en réalité toute retouche au restaurateur : comment concilier le respect de l’œuvre originale – et accessoirement de son histoire – et le souci légitime de lui rendre une lisibilité qui en permette l’appréciation esthétique ? Le problème était d’autant plus clairement perçu que l’Istituto Centrale per il Restaurato avait été créé peu de temps auparavant sur une suggestion de Giulio Carlo Argan pour arracher la restauration à l’empirisme artisanal qui la dominait alors et la fonder sur une approche scientifique des problèmes techniques, à la lumière d’une approche critique des aspects esthétiques et historiques. Le jeune directeur, Cesare Brandi, s’attachait d’ailleurs à élaborer dans ce sens une théorie de la restauration qui prenait particulièrement en compte la nécessité de concilier les exigences historiques de respect du document et les exigences esthétiques de sa présence formelle. Il était donc clair que la retouche, pour être acceptable sur le plan critique, devait satisfaire à deux exigences apparemment contradictoires : d’une part rétablir la possibilité de lecture sans effort qui puisse distraire le spectateur de la pure réception de l’image ; d’autre part faire en sorte que cette intervention ne puisse en aucune manière tromper le spectateur sur sa nature en se faisant passer pour l’œuvre originale, au lieu de se faire connaître pour ce qu’elle était : une intervention actuelle du restaurateur destinée à rétablir, dans la mesure du possible, l’unité primitive de l’image.
Il est donc bien évident que le tratteggio ne peut être considéré comme une formule universelle de retouche. Il ne peut entrer en considération que pour des lacunes caractérisées (à la différence de simples usures de la patine ou de la couche picturale superficielle), qui permettent de " jeter le pont " entre deux rives en raison des implications qu’elles contiennent en termes de ligne, de modelé ou de couleur. Mais il sera exclu, comme toute autre forme de retouche d’ailleurs, dès qu’il faut recourir à l’hypothèse ou que l’étendue est simplement trop vaste et imposerait la retouche au détriment, et non plus en faveur, de l’original, dont il s’agit de renforcer la présence. A ce stade, la lacune sera traitée comme lacune, et non intégrée au niveau formel ou figuratif. La situation a justement été comparée à la restitution d’un texte mutilé et à son édition – Les mots, fragments de mots ou lettres manquants peuvent être restitués chaque fois que cette restitution est impliquée par le contexte – par l’unité potentielle du texte restant – et cette possibilité dépendra de la place et de la nature de la lettre ou du mot ou fragment de mot manquant en fonction des suggestions implicites dans le contexte. Mais il est évident que la restitution se fera de façon qui la rendre identifiable comme interprétation critique de l’éditeur : soit en italiques, soit avec note de renvoi explicative. C’est ce rôle qui revient, mutatis mutandis, au tratteggio.
Tout ceci a été dit, et bien dit. S’il a paru utile d’y revenir, c’est que, presque depuis ses origines, le tratteggio a souvent été mal compris. Surtout hors d’Italie, où manquait le fond de culture critique établi par Brandi, qui en assurait la correcte compréhension théorique, mais parfois aussi en Italie même.
La première est d’ordre technique. Des retouches en tratteggio mal exécutées ont contribué à obscurcir les raisons et la fonction précise du recours à cette technique, et, la copie étant toujours inférieure au modèle, il s’en est suivi un relâchement de l’exécution qui a exposé le principe du tratteggio à des critiques que ne justifiait en fait que la mauvaise exécution, voire l’incompréhension témoignée par l’exécutant.
La seconde, souvent liée à la première d’ailleurs, est d’ordre théorique. Le mauvais tratteggio s’imposant comme tel au lieu d’assurer l’intégration des lacunes traitées, la grille – le moyen – a été prise pour la fin – l’intégration – manquée, et, le principe se renversant, le tratteggio a alors été considéré comme un moyen de rendre la retouche visible – ce qui est évidemment beaucoup plus facile que d’intégrer la lacune à travers le filtre des hachures, mais ne répond pas au problème critique de l’intégration."
Tout est dit sur le tratteggio, compris et incompris.
Merci de faire connaître ces belles techniques
RépondreSupprimerSalutations
Merci, Jacques, pour votre intérêt et votre fidélité.
RépondreSupprimerGreat blog I ennjoyed reading
RépondreSupprimer