Enduit de chaux, sgraffito, pigments, or, techniques traditionnelles mêlées aux nouvelles... Les murs sont colorés symboliquement, le chemin de croix exceptionnel est parlant au point que nous vivons chaque scène avec beaucoup d'émotion... Pour retrouver à notre époque cette inspiration Divine qui a imprégné tant d'oeuvres et qui aujourd'hui s'effrite...
Voici mon coup de coeur Patrimoine, un patrimoine qui sera dans quelques siècles soigné afin d'être pérennisé et transmis aux générations futures...
François Peltier, racontez nous l’historique de ce Chemin de Croix. Comment ce projet a-t-il pu se mettre en place ?
Pour comprendre comment ce projet a pu voir le jour, il est nécessaire, je crois, de remonter à l’année dernière et à la mise en couleur de l’église Notre-Dame de Bias. C’est le point de départ de cette aventure.
Le Maire de Bias, responsable des bâtiment paroissiaux suivant la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’état, prévient Arnaud Lassuderie, le Vicaire desservant habituellement cette petite église périphérique, que la Municipalité a prévu de repeindre l’édifice. La peinture intérieure de l’église, gris sale, était en effet défraîchie. Le Vicaire désire éviter le blanc cassé et le coquille d’œuf qui règnent en maître dans les églises de campagne..
Il me demande alors de concevoir une mise en couleur de l’édifice qui soit certes vivante et actuelle mais qui ne soit pas un exercice gratuit. Il désire qu’une réelle réflexion sur la couleur soit menée et que celle-ci soit tendue par une réelle cohérence spirituelle.
Le Maître-Autel de Notre-Dame de Bias porte en façade trois figures symbolisant les trois vertus théologales. Je propose donc de travailler sur les trois couleurs traditionnellement attribuées aux vertus théologales : le rouge pour la Charité, le bleu pour la Foi et le vert pour l’Espérance. Le principe de l’emploi de couleurs vives est adopté immédiatement, par le Clergé comme par la Municipalité. Pour vaincre les dernières appréhensions, nous organisons une visite d’églises du XIX° où la couleur est omniprésente, même parfois de manière un peu erratique ou gratuite. Désormais familiarisés avec les églises peintes, les Biassais abandonnent leurs dernières réticences.
Parmi plusieurs propositions d’organisation de la couleur, le Curé de la Paroisse Saint-Joseph, Laurent Camiade, choisit la solution des nefs rouges, du plafond bleu, et des arrières d’autels verts. Les colonnes et les arcs en pierre seront laissés bruts : par contraste avec la couleur, ils permettront de voir et de comprendre la structure architecturale du bâtiment autrefois pratiquement invisible. Nous pourrions donc résumer ainsi ce que la couleur nous dit : « Dans la Charité, sous la Foi qui nous protège, nous avançons guidés par l’Espérance ». Car la couleur a un sens…C’est le fait qu’un jaune citron et un pourpre, dans une culture commune bien entendu, font vibrer les mêmes fibres chez vous et chez moi qui permet à la couleur d’être un lien entre les gens. Nous sommes, avec la couleur, littéralement « sur la même longueur d’onde »...
Nous sommes dans un monde qui a peur de la couleur. Du moins dans la sphère privée. Habits gris, bleus, ternes, murs blancs ou écrus. La couleur a été confisquée par le mercantile, par les enseignes, les réclames, les publicités agressives. Je me suis contenté d’essayer de lui redonner son véritable sens : spirituel… Savoir que le Parthénon, les sculptures de Praxitèle, et Notre-Dame de Paris étaient en couleurs, cela décomplexe…La couleur porte des valeurs, une symbolique. Refuser de s’en servir, ce n’est qu’affaiblir son vocabulaire.
Une entreprise de bâtiment, Novella et fils, a réalisé les travaux. Un mois après l’appel de l’Abbé, le travail était terminé !!! Nous avons eu la chance que l’Eglise de Bias harmonieuse mais composite (du XII° à la fin du XIX° siècle) ne soit pas classée. Cela a permis d’éviter que les Bâtiments de France n’imposent une vision normée, une application stricte de règles discutables.
Comment les fidèles et les Biassais ont-ils réagi à ce changement brutal, à ces couleurs vives ?
L’adhésion immédiate de la population fut pour nous une excellente surprise !
Nous craignions des réactions hostiles. Il n’en fut rien. La quasi unanimité des réactions furent positives, les critiques toujours marginales.
Monsieur l’Abbé vit le nombre de fidèles aux offices augmenter significativement. Et nous avons constaté en même temps que les habitants de Bias devenaient fiers de leur église. Je crois que les gens en ont un peu assez de la grisaille ou de l’aseptisé. En eux, ils ont une grande soif de couleur qui leur paraît rendre la vie plus forte, plus tangible. Alors parfois, il faut oser pour eux parce que c’est notre métier, notre compétence. La couleur a en elle même une puissance que l’on ne soupçonne pas. Savez-vous qu’au Moyen-Âge le privilège de la Corporation des Peintres était simplement celui de détenir les pigments ? En un mot, avoir le privilège de colorer le monde… Et normalement notre formation nous autorise à le faire avec justesse.
L’objectif que nous nous étions fixé en colorant l’église était non seulement atteint mais largement dépassé. La réussite de cette étape nous permit, Monsieur le Curé, Monsieur l’Abbé et moi même, de réfléchir d’abord de manière informelle puis plus concrètement, plus précisément à un chemin de Croix contemporain afin de poursuivre la mise en valeur d’abord religieuse, ensuite artistique de Notre-Dame de Bias. Cela nous a paru compléter la mise en couleur. J’ai reçu le feu vert de Monsieur le Curé en septembre 2009.
Quelles étaient les difficultés rencontrées lorsque vous avez commencé à aborder la conception du Chemin de Croix ?
Le Chemin de Croix est une tradition assez neuve dans l’Eglise. L’autorisation d’installer des chemins de Croix dans les églises date de 1751. Jusqu’à cette date, seuls les Franciscains en possédaient.
Bien entendu, il existe antérieurement nombre de représentations de la Passion, mais l’organisation en quatorze stations définies date de moins de trois siècles. Je ne pouvais donc pas me baser sur un corpus important d’œuvres anciennes qui m’aurait donné idées, repaires et auraient guidé mes pas. Et les chemins de Croix XIX° n’étaient pas pour moi d’un très grand secours. Ils sont vraiment trop répétitifs et marqués stylistiquement. Je partais un peu dans l’inconnu.
Mais je crois que le point le plus difficile, en tant que peintre et que chrétien, était d’aborder la représentation du visage du Christ. C’est un casse-tête, si je puis m’exprimer ainsi… Tant de grands peintres s’y sont déjà essayé ! On a réellement peur de ne pas être à la hauteur. J’ai cherché une représentation qui me soit propre, qui ne soit pas une redite et qui tâche de rendre en même temps tous les aspects de Sa personne. Par exemple, comment rendre Sa double nature ?
C’est cela qui m’a pris le plus de temps, de travail, de réflexion, de prières… Trouver le visage du Christ…J’ai bien dû en dessiner une cinquantaine, je ne sais pas. Avec toujours ce sentiment d’impuissance…
Mais cette figure existe maintenant ! Quels ont été les critères de choix ?
Je me suis aperçu qu’il existait deux déroulement de Chemin de Croix autorisés par l’Eglise : le traditionnel que nous connaissons tous et le chemin de Croix de Jean-Paul II, confirmé par Benoît XVI. Ce nouveau chemin de Croix supprime toutes les stations qui ne sont pas directement décrites dans les Evangiles (Sainte Véronique par exemple) et commence dès le Jardin des Oliviers. J’ai demandé au Curé de trancher. C’était un choix religieux, il ne m’appartenait donc pas. Le Curé a opté pour le chemin de Croix traditionnel.
Tout en faisant les premiers croquis d’approche, je lisais différentes méditations sur le Chemin de Croix. J’essayais de trouver l’angle plastique sous lequel j’allais travailler. Mais certains points étaient acquis dès le départ comme le fait de travailler à même le mur, et non pas de peindre des tableaux en atelier qui seraient fixés dans l’église de Bias.
Pour quelles raisons avez vous privilégié le support mural ?
Au bout de trente ans de métier, je ne suis pas certain que le tableau de chevalet corresponde totalement à ma pensée et à ma conception de la peinture.
Le tableau devient vite une manifestation du privé et de l’individuel. Et il rentre aujourd’hui dans un système artistique dont le principal moteur est la spéculation et le mercantilisme.
On est passé à travers les siècles, de l’église commune à la chapelle du prince et aujourd’hui aux marchands du temple. L’art est tout d’abord devenue une esthétique (un mot de la Renaissance), pour devenir aujourd’hui une valeur boursière qui enrichit les spéculateurs. Pour moi , ce n’est pas le fondement de l’Art. L’art est avant tout un acte sacré de “Transitus”. Et je pense qu’en rendant l’art profane dans son esprit (même l’art religieux) l’Occident a amorcé une pente qui est devenue précipice avec le temps…
Dèjà Dürer s’appuie sur le capitalisme naissant des banquiers Réformés. Dès cette période, il y a un marché des poncifs. L’art rentre dans une logique commerciale, commerçante, même si de ce temps là une oligarchie cultivée et mécène commande des œuvres magnifiques dont nous bénéficions encore. Disons donc que je ne me satisfais pas de travailler dans cette optique et que j’ai la nostalgie du temps où l’artiste travaillait pour la communauté et la plus grande gloire de Dieu…
Aujourd’hui, nous sommes arrivés à la caricature. Le peintre crée son « œuvre », hors contexte, pour son plaisir et surtout pour se conformer aux ukases commerciaux. Le marchand exploite et vend, dans un « créneau porteur ». L’acheteur se l’approprie. Au mieux, il accroche le tableau sur le papier-peint à fleurs du salon ou le tissu rouge de sa chambre à coucher en espérant que « la côte va monter ». Au pire , il le stocke dans un coffre, et si il en a les moyens, il fait grimper la côte de l’artiste. Nous connaissons tous des exemples actuels où en plus l’état se fait complice. Et le « collectionneur » se fait de l’argent à bon compte. Cela n’a plus grand chose à voir avec l’art…
La peinture a une vocation de lien, une vocation communautaire. Et à élever l’homme…Aujourd‘hui, l’art n’est plus populaire et sacré. Un historien de l’art a pu dire « Lorsque Giotto peint sa maîtresse, elle semble être une Vierge. Lorsque Raphaël peint la Vierge, on sait que c’est sa maîtresse. Elle sent encore les draps tièdes. ». Maintenant nous sommes au stade de la prostitution dont le marché de l’art est le souteneur.
Prenez les musées… Les œuvres qui s’y trouvent n’ont certes pas été peintes pour être accrochées à leurs cimaises ! L’idée de peindre pour être un jour « muséifié » de leur vivant, comme l’espèrent les artistes est une aspiration malsaine. Les musées sont devenus des « machines à faire la cote », des lieux au service du marché. Là se fait et se défait le marketing artistique. Nous l’avons vu récemment avec le Louvre et Versailles.
Par le sujet, la taille, l’usage, l’harmonie colorée, la peinture doit être adaptée a un lieu. La peinture seule, l’art pour l’art, et encore plus l’art pour le marché, pour l’argent, au service d’un système me paraissent des déviations.
La peinture ne prend sa force, sa raison d’être, sa fonction que grâce à la lumière, à l’architecture, à l’usage du lieu où elle est accrochée. Et si possible dans un lieu accessible à chacun.
En décidant de travailler à même le mur, je pouvais véritablement appliquer mes convictions artistiques. La taille, les couleurs sont exactement adaptées à l’architecture et aux couleurs que j’avais choisies l’année d’avant. Le tout étant au service de l’Eglise. Le Chemin de Croix fait organiquement corps avec Notre-Dame de Bias. Il ne s’agit pas d’un art rapporté.
Pour simplifier, je pourrais dire que nous n’avons pas embelli ou décoré l’église, nous avons essayé de continuer à la construire.
Toujours dans cet esprit, nous nous sommes refusés à créer un éclairage particulier pour le Chemin de Croix. Nous voulons que les gens n’oublient pas qu’ils entrent dans une église. Le chemin de Croix est à sa place, pas plus. Il n’est pas question, en focalisant l’attention des fidèles sur lui, que les gens viennent à Bias, comme ils vont dans une galerie « voir de la peinture ». Une église n’est surtout pas une galerie ou un musée. C’est un lieu de culte vivant.
Travailler durant des mois dans une église est par essence totalement différent d’un travail en atelier. La différence entre l’homme profane et l’homme religieux disait Mircea Eliade dans « le profane et le sacré » est que celui qui a la perception du religieux connaît la valeur des temps et des lieux, et les différencie. L’homme profane n’a plus ni lieux, ni temps sacrés. Tout est linéaire. Alors que là, j’ai changé mon comportement au travail car il était commandé par la sacralité du lieu. Et je suis certain que le chemin de Croix s’est imprégné de notre attitude. Faite en atelier, l’œuvre eut été différente, certainement.
Dans ce choix délibéré, il y a une volonté « médiévale » de retrouver l’état d’esprit de l’artisan au service du lieu et de Dieu, et de tenter de minimiser l’affirmation de l’ego artistique. Nous avons besoin, parce que notre monde nous pousse à l’orgueil, de cultiver l’humilité, de nous rappeler que l’artiste doit servir avant tout.
Plastiquement, quelles sont les principes qui ont présidé à l’élaboration du Chemin de Croix ?
Les choix plastiques sont au service de ce qui doit être dit. Tout à l’heure je vous parlais de la difficulté à tenter de rendre la double nature du Christ…
J’ai ainsi dessiné normalement tous les personnages : de profil, de face ou de trois quart. Sauf le Christ... Qu’il soit de profil ou de face, il a toujours les yeux de face et le nez et la bouche de profil… Ceci pour tenter de montrer plastiquement qu’Il est double en un. C’est un exemple, mais il est significatif de la manière dont j’ai élaboré le Chemin de Croix. Mon dessin, ma couleur ne dépendent ni de mes envies, ni de mes états d’âme. Ils cherchent à porter un sens le plus proche du message que je suis chargé de transmettre.
J’ai choisi, en accord avec le Curé et le Vicaire, un Christ non doloriste. Il souffre bien entendu mais il garde sérénité et confiance. Nous ne désirions pas un Chemin de Croix désespérant, misérabiliste. Car derrière son supplice, il y a la Rédemption du monde. Il faut que cette Rédemption soit immédiatement tangible.
L ‘élaboration se fait très en amont, au moment des tous premiers crayonnés. La forme plastique ne peut s’élaborer que lorsque l’esprit a fait ses choix fondamentaux. Après c’est une longue approche par approximation, jusqu’à trouver une forme qui soit acceptable.
Nous avions la volonté de créer un chemin de Croix populaire, et non un chemin de Croix d’artiste pour happy few, pour habitués de vernissages branchés. Rien n’est plus insupportable que ces œuvres où le discours est nécessaire pour qu’elles prennent un sens. Il fallait une représentation contemporaine mais intelligible par tous. Et donc des principes de constructions clairs et récurrents, une structure identique globale.
Le chemin de Croix est basé sur quatre plans.
Au premier plan, devant la Croix, il y a le Christ. La dominante de ce plan est la clarté, la lumière, le blanc. La tunique du Christ est un habit riche. Tel qu’il est dit dans les Evangiles, il s’agit une pièce de lin fin tissé d’une seule pièce qu’il doit porter par dérision comme le manteau rouge. Cette tunique est lacérée pour symboliser les souffrances subies. Mais elle porte comme un motif aquatique damassé qui rappelle que le Christ est “source de vie”.
Au second plan, la Croix. En lisant le Chemin de Croix de Josemaria Escriva, une expression revient sans cesse dans ses méditations : « la croix… trône de Gloire… trône de Royauté ». L’application plastique que cela à induit est que la Croix est dorée à la feuille. Elle est uniquement représentée par la barre transversale permettant de dessiner un chemin continu de la première station jusqu’à la douzième (la mort) inclues. Elle est la structure même du chemin de Croix. La ligne d’or de notre chemin de Chrétien.
Au troisième plan, les personnages, derrière la Croix. Les personnages (Simon, Véronique, les femmes de Jérusalem, les romains, etc...) se trouvent placés derrière la Croix et peints en couleur ou en camaïeux.
Au quatrième plan, la foule, en enduit gris, teinté aux pigments dans la masse et gravé. Dans cette foule on peut trouver de tout, personnages bienveillants comme agressifs, animaux symboliques ou non. La détailler serait trop long. Chacun y découvrira lentement à son rythme tout ce dont elle recèle. Elle est la plus diverse possible. Elle est grise, oppressante, elle cerne le Christ. Cette foule où nous sommes nous-mêmes, spectateurs.
Tout au long du Chemin de Croix, ce principe des plans, traversés par le chemin d’Or de la Croix se développe et se continue jusqu’à la mort où la rupture stylistique marque une nouvelle étape.
Les choix plastiques et iconographiques sont là pour renforcer les choix théologiques…
Justement, comment avez vous travaillé avec Monsieur le Curé ?
Le plus simplement du monde ! Suivant nos compétences… Tous mes dessins préparatoires sont passés au crible de Monsieur le Curé pour qu’il en vérifie la conformité et l’orthodoxie. Ce qui fut pour moi un approfondissement théologique passionnant. J’ai corrigé ce qui lui paraissait discutable. Pour la conception plastique, il m’a laissé une liberté artistique totale, style, taille, couleur, technique. Il s’est interdit la moindre remarque artistique afin de me donner les meilleures conditions de création. Si il m’a choisi pour réaliser le chemin de Croix, alors qu’il connaît mon travail habituel, c’était que je lui paraissais apte à le réaliser. J’ai donc bénéficié d’une confiance totale. Et cela m’a donné une envie de me surpasser.
Vous savez, depuis le début, cette aventure n’a été possible que par l’entente parfaite existante entre Monsieur le Curé, Monsieur le Maire, Monsieur l’Abbé et moi-même. Sans compter l’appui sans faille des Fidèles de Bias. Je me suis senti soutenu par de nombreuses personnes, une vraie communauté de pensée et d’espérance, durant ce chantier. Alors je n’avais envie de décevoir personne.
Je crois sincèrement que la Providence nous a donné un coup de pouce quand je vois comment cela s’est passé.
Donc ces fidèles ont appréciés votre travail …
C’est la partie la plus belle de l’histoire.
Nous désirions faire un chemin de Croix, mais se posait le problème du financement.
Afin de rendre les choses possibles, j’ai décidé de ne pas fixer le prix en fonction de mon prix public habituel mais de laisser la Paroisse fixer ma rémunération.
Elle a eu l’esprit d’indépendance et le courage de décider que le financement se ferait uniquement par des dons de fidèles et de mes clients. Les paroissiens de Bias ont réagit avec une générosité exceptionnelle. Ils se sont appropriés ce projet, ils l’ont pris à bras le corps !
Aujourd’hui le budget est pratiquement bouclé, sans que nous ayons eu la nécessité de solliciter la moindre aide officielle, publique ou institutionnelle. Cette indépendance nous a garanti une totale liberté dans la création comme dans le suivi.
Que des gens puisse ainsi donner, pour offrir un chemin de Croix à tous les chrétiens entrant dans l’Eglise de Bias, sans rien posséder en contrepartie, suscite ma plus profonde admiration. Il y a de belles réserves de générosité… Il y a une belle Espérance…
Combien de temps avez vous travaillé ?
La réalisation de ce Chemin de Croix a nécessité plus de sept mois de travail. J’ai commencé à y travailler en atelier en septembre 2009. J’ai entamé le chantier de réalisation, sur place, dans l’église le jeudi 14 janvier 2010, après une messe. Le Chemin de Croix a été inauguré dans l’usage le Vendredi Saint 2 Avril 2010 par la célébration de l’office du Vendredi Saint. Et sa présentation officielle a été effectuée le vendredi 7 mai 2010 par une messe dite par Monseigneur Hubert Herbreteau, évêque d’Agen, en présence de nombreux prêtres du diocèse.
C’était une lourde responsabilité qui m’a beaucoup occupé l’esprit. Un peintre n’est pas peintre huit heures par jour. On est peintre ou on ne l’est pas. Si on l’est, c’est tout le temps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre…
Avez-vous travaillé seul ?
Non, depuis 1997 et mon exposition itinérante de l’Arche, je m’entoure de compétences diverses.
Là encore je suis plus dans un esprit d’atelier que dans la ligne de l’artiste solitaire. Ce qui sort de mon atelier est estampillé Peltier. Cela ne veut pas dire nécessairement que tout soit totalement autographe. Cela veut dire que j’en assure la conception et que je m’engage sur la qualité professionnelle. Mais surtout cela veut dire que j’en porte la responsabilité morale, face au public. Pour moi, c’est cela être peintre : porter la responsabilité morale de ce que je montre.
Depuis huit mois, j’ai enfin un apprenti… je dis bien apprenti et non élève … Augustin Frison-Roche. Aujourd’hui, il n’existe même plus de statut social pour un apprenti d’artiste, tellement notre monde conçoit peu l’art comme une connaissance et un apprentissage, comme une transmission hiérarchique d’un savoir…
Il a 22 ans, il est plein d’enthousiasme, il apprend en participant à mes travaux. Une expérience comme ce chemin de Croix le fait avancer vite. Peu à peu son champ d’intervention augmente.
Je suis aussi aidé par mon épouse qui travaille avec moi depuis des années et qui est fondamentale au bon fonctionnement de ma création. Elle est tout à la fois mon critique, mon miroir et mon aide. D’anciens stagiaires et mes enfants viennent occasionnellement donner un coup de main.
Le plaisir est plus grand de travailler à plusieurs. Le travail « en équipe » me demande d’être plus exigeant, plus précis, plus défini intellectuellement et plastiquement. Il enrichit ma réflexion mais en dernier lieu, je conserve le droit décisionnel, bien entendu.
Je ne crois pas à l’infaillibilité de l’artiste. L’artiste livré à lui même sera toujours plus ou moins entraîné vers la redite et la facilité. Nous avons besoin de gardes-fous et de stimulants. Les regards et esprits extérieurs - mais amis - m’aident à aller au bout de mes capacités.
Depuis que le Chemin de Croix est terminé et visible du public, quels « retours » avez vous ?
Depuis trente ans que je fais ce métier, je suis toujours surpris et impressionné de la puissance de l’Art.
Le Vendredi Saint, jour où nous avons dévoilé le travail, il y a eu 150 personnes au lieu des 25 habituels à l’office du Chemin de Croix. Honnêtement nous l’espérions. Mais nous avons été troublés et touchés. Parce que ces personnes, en grande partie plus habituées des vernissages que des cérémonies religieuses, ont compris ou senti immédiatement qu’elles n’étaient pas dans une exposition mais suivaient un Chemin de Croix. L’assemblée était recueillie, orante. Il y avait une véritable ferveur …
C’est sans doute là, la vraie récompense de mon travail. L’artiste s’estompait derrière l’œuvre qui devient « transitus » comme l’avait défini Saint Grégoire. Nous touchions du doigt que l’art est réellement un moyen privilégié pour élever l’âme, pour voir l’invisible sous le visible.
Nous avons ouvert l’église tout le dimanche et le lundi de Pâques. Nous avons eu 500 personnes, venant parfois de deux cents kilomètres. Nous avons vu des gens touchés jusqu’au fond d’eux même, et pleurer au fur et à mesure de la visite que l’Abbé guidait. Nous avons vu des gens qui n’avaient plus mis les pieds dans une église depuis dix ans rester interloqués et s’asseoir enfin pour prendre le temps de se poser certaines questions…
Je remercie Dieu de faire ce métier. L’art est extraordinairement puissant. Parce qu’il est basé avant tout sur une réflexion eschatologique, même lorsque cela n’est pas directement visible. C’est pour cela que je n’aime pas l’art contemporain quand il devient nihiliste et désespéré. Régis Debray a dit dans « Vie et mort de l’image », « Face à la conscience de la vision des asticots, l’homme n’a que deux solutions : l’art et la religion ».
Les artistes ont une lourde responsabilité. Il faut qu’ils manient cette puissance pour le bien de tous, et non par appétit de puissance personnelle ou pire encore, pour servilement faire valoir un système mercantile et faire le jeu des puissants d’aujourd’hui. La soumission des artistes au « prêt-à-penser » contemporain ne peut être un mode de fonctionnement. Comme l’a écrit Jean-Paul II dans sa lettre aux artistes d’avril 1999 : « Ce monde dans lequel nous vivons a besoin de Beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. ». Nous devons, nous artistes, tâcher de donner un peu de Beauté…
Les médias ont-ils couvert cet évènement ?
Oui… De manière surprenante et inespérée. Deux reportages télévisuels, une page dans « La Croix », des articles nombreux… Et j’espère que ce n’est pas terminé.
Parce que cet engouement, que je n’attendais pas, montre que ce travail, respectueux de l’orthodoxie et de la tradition, pourtant résolument contemporain, réalisé dans une église ancienne, représente une attente ou comble un manque.
Jean-Paul II , toujours dans cette même lettre aux artistes de 1999 disait en somme « Que les artistes n’aient pas peur de l’Eglise, que l’Eglise n’ait pas peur des artistes… ».
L’histoire de ce Chemin de Croix, c’est essayer d’obéir à cette injonction de Jean-Paul II. C’est une chance magnifique d’obéir à l’Eglise en restant artistiquement totalement libre. Ce sont des moments qui réconcilient avec l’Eglise. Il lui en a fallu du courage, dans un temps frileux, pour me dire « allez-y ! ». C’est la première fois en trente ans de métier que l’on me fait ainsi une confiance artistique totale pour une œuvre qui restera en place le temps que Dieu voudra. Et je suis fier en tant que catholique, que ce soit l’Eglise qui ait permis cela.
Les fidèles désirent profondément un travail neuf, actuel, contemporain mais traditionnel, parfaitement conforme aux enseignements de l’église. Loin des extravagances, des provocations ou des blasphèmes que l’art conceptuel impose un peu partout, jusqu’aux églises transformées en galeries. Loin du Christ sur sa chaise électrique, de la « machine à baptiser », du « Piss Christ » que l’on voudrait nous faire « admirer ». Je suis assez optimiste. Je crois que cet « art » vit ses derniers feux. Le public chrétien ou non sent bien que cette outrance n’est pas de l’art mais de l’argent et de la « peoplisation » et il s’en détourne ostensiblement. D’où l’obligation de cet art officiel de se montrer dans des lieux superbes … et peu contemporains (Mont Saint-Michel, Louvre, Versailles) pour être vu.
Il faut continuer à œuvrer silencieusement, durablement.
« Seule la Tradition est neuve » disait Dali. Je ne l’ai jamais aussi bien ressenti que durant ces neuf mois. Et je suis heureux d’avoir pu montrer que l’art contemporain peut être porteur , je l’espère, d’un sacré actuel.
Diriez vous que ce Chemin de Croix est un manifeste ?
Un peu. Mais un manifeste par l’exemple. Une sorte de preuve par l’œuvre et non par le discours. Je suis peintre, ce que l’on me demande est de peindre, non ? Oui ce Chemin de Croix montre que lorsque le risque est assumé à plusieurs, que l’on ajoute les compétences sans empiéter sur celles de l’autre que la volonté des protagonistes poursuit le même objectif, (qui est « l’autre » et la plus grande gloire de Dieu), que lorsque l’on recherche la nouveauté sans la provocation, une voie est possible, hors de l’art de loisirs et de l’art conceptuel. Et cette voie reçoit l’assentiment des fidèles comme du public. Il redevient populaire sans être démagogique ou facile.
Et que l’on ne me dise pas que cela coûte cher. Si un village comme Bias (3 300 habitants) et une Paroisse comme la Paroisse Saint-Joseph de Villeneuve-sur-Lot (25 000 habitants) ont réussi à transformer leur église, alors beaucoup de gens peuvent réussir ! Notre budget ne doit pas représenter le prix de « l’étude de faisabilité » ou le prix de l’assurance de n’importe quelle grande machinerie artistique institutionnelle.
Ce chemin de croix me donne une grande force. Il est possible de « déplacer les lignes », sans beaucoup d’argent, avec l’engagement de gens, pour l’usage de tous, en parfaite liberté artistique.
Il est possible de tracer une voie hors des chemins officiels, une voie traditionnelle dans sa pensée, novatrice dans sa forme.
Propos recueillis par Jean-Louis Massoure.
Crédit photos François Peltier.
Pour une visite virtuelle de l'église:
http://www.france-sud-tourisme.fr/lot-et-garonne/panoramas/F-Bias-eglise-allee.html
Pour connaître l'artiste, François Peltier:
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Pour voir toute l'évolution du chantier sur facebook:Pour connaître l'artiste, François Peltier:
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